Wednesday 18 February 2015

Saint-Honoré, Opéra-Madeleine, Marais… Les nouveaux Mozart du luxe

Paris n’est pas sans compter quelques surdoués. Des petits génies qui, en quelques années, se sont imposés parmi les ténors du commerce haut de gamme et de luxe ou sont en passe de le faire. La rue Saint-Honoré est le plus avancé de ces talents. Mais ça bouge et ça s’accélère aussi autour de l’Opéra, notamment le long du boulevard des Capucines, ainsi que dans le Marais. Revue de détail.

Rue Saint-Honoré : C’est sans nul doute une des métamorphoses commerciales les plus spectaculaires dont Paris ait été le théâtre ces dernières années.
Pendant longtemps, la rue Saint-Honoré n’a eu de prolongement du Faubourg Saint-Honoré que géographique. La rue Royale faisait une césure claire entre les boutiques de luxe et les enseignes de prestige d’un côté et les indépendants, les services et les commerces de proximité de l’autre. La mutation a commencé à s’opérer il y a une dizaine d’années. La rue Saint-Honoré est montée en gamme. D’abord lentement, presque timidement. Puis le mouvement s’est peu à peu accéléré. L’année 2014 en aura marqué l’acmé.
Les marques de luxe se livrent désormais une véritable bataille pour prendre pied sur ce secteur, qui offre une des plus grandes concentrations de palaces et d’hôtels haut de gamme de Paris et donc un accès direct à la clientèle internationale fortunée. Une des dernières annonces en date est l’arrivée d’Alexander McQueen au 372 rue Saint-Honoré. Le couturier, qui évolue dans la galaxie Kering, ouvrira à l’été un espace de près de 750 m² dédié aux lignes couture mais aussi au prêt-à-porter, sous la marque McQ, et aux accessoires pour femme et homme. Le ticket d’entrée pour un tel espace, qui voisine les boutiques Viktor & Rolph, Dior Parfum, Jimmy Choo et fait face au Mandarin Oriental, est évidemment secret défense. Une seule évidence : il est considérable. Surtout, il est assorti d’une part variable, calculée en pourcentage du chiffre d’affaires réalisé sur la boutique, qui s’appliquera dès le franchissement d’un certain niveau d’activité. Niveau confidentiel mais qui illustre bien le potentiel considérable d’un tel lieu et les ambitions qu’il autorise.
À deux pas de là, entre le 362/364 rue Saint-Honoré et le 7 place Vendôme, Potel & Chabot, traiteur de luxe, s’apprête à prendre la relève de BNP.
Quelques mètres plus loin, à l’angle de la place Vendôme et de la rue Saint-Honoré, LVMH reconfigure l’immeuble dans lequel Guerlain est installé depuis plus de 100 ans. Le parfumeur vient de s’étendre, en absorbant l’ancienne bijouterie Barboza. Toujours dans l’immeuble, St Charles et Richard Mille ont baissé le rideau et laisseront bientôt la place, probablement, à certaines enseignes du groupe propriétaire.
De l’autre côté de la rue, les grandes manœuvres commencent dans le cadre de la restructuration de l’ancien hôtel Lotti. Missoni s’installe quant à lui en face de Balenciaga.
Alors que la section véritablement recherchée de la rue Saint-Honoré s’arrêtait à l’emplacement de Colette, à l’angle de la rue du 29 Juillet, elle déborde de plus en plus clairement. La Prairie ouvre ainsi une boutique au croisement de la rue Saint-Roch.
Mais tout au long de l’année 2014, la rue Saint‑Honoré a surtout vibré aux sons de l’offensive lancée par Chanel. La maison fondée par Coco est prise de fringale et grignote peu à peu les boutiques entre la rue Cambon et la rue Duphot, s’offrant au passage une vitrine sur la rue Saint‑Honoré. Elle s’étend directement ou installe des sociétés placées dans son orbite, telles que le bottier Massaro ou le chapelier Maison Michel. À terme, c’est tout un ensemble commercial cohérent et parfaitement maîtrisé par Chanel, s’étendant jusqu’au deuxième étage de certains immeubles, qui se profile sur cet îlot.
La mue de la rue Saint-Honoré est donc en passe de s’achever pour devenir une adresse incontournable du luxe. Un véritable haut lieu du sérail.

La mue de la rue Saint-Honoré en haut lieu du sérail commercial est en passe de s’achever, tandis que celle du boulevard de la Madeleine s’accélère
Opéra-Madeleine : Moins avancée et donc moins spectaculaire, l’évolution commerciale du boulevard des Capucines et de celui de la Madeleine n’en est pas moins solidement engagée. Le grand évènement 2014 a été ici l’annonce de l’arrivée de Tommy Hilfiger sur les 1 000 m² libérés par Foncier Home au 43 boulevard des Capucines. La marque américaine, fondée en 1985, ouvrira son nouveau flagship parisien dans le courant de l’année. Cet évènement devrait aider à modifier les flux de clientèle dans le quartier - flux qui se concentrent pour l’instant majoritairement aux extrémités de chacun des boulevards, sans qu’il y ait réellement de jonction entre elles. L’ouverture de la boutique Tommy Hilfiger devrait encourager l’établissement d’un continuum entre le pôle Madeleine, où sont installés Kenzo, Ralph Lauren, Cerruti 1881 ou Dior, et le pôle Opéra. Ce dernier a considérablement changé en quelques années, avec l’implantation de grands noms du prêt-à-porter moyen/haut de gamme tels que Lacoste, Aigle, Gant, Gap ou Ikks, et celle de quelques boutiques de luxe, comme Bucherer, Omega, Bally ou Weston, qui rehaussent l’image du quartier. Une orientation mass market chic donc, avec une pointe de luxe, qui confère au lieu une identité différente et complémentaire de celle de la rue Saint-Honoré toute proche.
Mais en ce début 2015, Opéra-Madeleine n’a toujours pas atteint l’âge adulte des emplacements numéro un. Le quartier est appelé à connaître encore des évolutions. Et ça tombe plutôt bien puisqu’il existe des possibilités, notamment sur le trottoir pair du boulevard, relativement peu touché par les récentes ouvertures de boutiques. En outre, des arbitrages seront sans doute à faire par certaines enseignes, mal positionnées ou dont le concept n’a pas fait ses preuves dans cet environnement de marché. Il est ainsi probable que la montée en gamme du quartier se poursuive.

Marais : Où l’on reparle de Moncler. Le spécialiste de la doudoune de luxe offre à sa clientèle un étrange objet rue des Archives. Mi-corner, mi‑boutique. Un magasin indépendant, avec vitrine et accès direct sur rue, mais très clairement intégré à l’ensemble du BHV Marais. Le grand magasin a d’ailleurs fait sculpter dans la pierre de l’immeuble ses propres armoiries.
Moncler n’est pas la seule marque à se lancer dans cette aventure inédite sur le quartier. Elle est accompagnée par Gucci, Fendi et Givenchy. Au total, quatre boutiques contiguës, pour un total de près de 800 m² en rez‑de‑chaussée et premier étage, dévolues au luxe.
Sur la face ouest de ce pâté d’immeubles, côté rue du Temple, c’est Nike qui a ouvert, depuis quelques mois, une boutique en association avec le BHV Marais.
C’est donc un véritable jeu de Monopoly qui s’engage dans le quartier. En fin d’année 2014, la presse s’est fait l'écho d’un projet d’ouverture d’un megastore de 4 000 m², rue Sainte‑Croix-de-la-Bretonnerie, entièrement dédié à la gastronomie italienne haut de gamme. C’est l’enseigne Eataly qui porterait le dossier, avec toujours à l’arrière-plan le BHV et son actionnaire, le groupe Galeries Lafayette, propriétaire d’un foncier considérable et sous-exploité dans le quartier.
La rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie n’est pas bien grande et, dans les faits, l'une des seules possibilités de positionnement de ce projet semble être l’immeuble qui accueille le restaurant du personnel du BHV. Aussitôt, inquiétude des syndicats. Et démenti du BHV Marais. Affaire à suivre donc, mais symptomatique de la métamorphose commerciale du Marais.
Les Galeries Lafayette promeuvent également un autre projet majeur, à savoir une fondation d’art contemporain au 9 rue du Plâtre, avec accès direct possible par la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. C’est Rem Koolhaas, prix Pritzker 2000, qui est en charge du projet. Le permis de construire a été obtenu en mars 2014 et les travaux devraient commencer au printemps. Ouverture prévue au public à l’automne 2016, avec un objectif de 100 000 visiteurs par an.
Oui décidément, le Marais, toujours arty, de plus en plus chic, est en train de se muer en un Saint‑Germain-du-Marais.
Une nouvelle adresse du sérail parisien, qui pourrait connaître un véritable boom en cas d’évolution de la réglementation sur l’ouverture dominicale des commerces. Pour l’heure, seules la place des Vosges et la rue des Francs-Bourgeois sont classées en zone touristique, entraînant l’autorisation d’ouverture le dimanche. C’est une des raisons pour lesquelles la rue des Francs-Bourgeois a été une des premières à engager la mue de son tissu commercial. Et c’est aussi pourquoi elle reste l’épine dorsale du commerce du quartier : l’ouverture d’Uniqlo en avril 2014, sur 820 m², en atteste.
Mais ce classement restrictif, datant de 2005, est aujourd’hui de plus en plus contesté. Des marchands d’articles touristiques autour du Centre Pompidou ont obtenu en justice des dérogations. D’autres dans les rues alentour voudraient les mêmes droits.

Qu’ils obtiennent gain de cause et la révolution commerciale du Marais n’est pas près de s’achever. Ni la musique de ce futur Mozart de se faire entendre…

No comments:

Post a Comment