Wednesday 18 February 2015

01 Très Honoré

Paris est ouverte au tourisme international haut de gamme, qui déverse sur le commerce de la capitale française une manne salutaire.
[Willkommen, bienvenue, welcome !]
[Fremde, étranger, stranger.]
[Glücklich zu sehen, je suis enchanté, happy to see you.] [Bliebe, reste, stay.]
[Willkommen, bienvenue, welcome !]

Oui, enchanté. Très honoré de vous recevoir, voyageurs de tous horizons. Et au texte de Liza Minnelli et de ses compagnons accueillant les visiteurs dans Cabaret, le Parisien devrait apprendre à ajouter [benvenuto, bienvenido, hwanyeong, selamat datang] ou bien d’autres traductions encore.

C’est qu’en effet ils sont nombreux, les visiteurs de Paris. Les arrivées hôtelières se sont élevées à 15,65 millions en 2013. Les chiffres 2014 ne sont pas encore définitifs mais les premières tendances restent proches. Elles confirment le positionnement de Paris comme l’une des toutes premières destinations touristiques à l’échelle mondiale.
Une destination très ouverte à l’international, puisque près de 58% des arrivées hôtelières recensées sont le fait de visiteurs étrangers.
Une ville séductrice, où les visiteurs restent et trouvent à s’occuper puisque la durée moyenne de séjour a tendance à croître sur les 10 dernières années. Elle se monte ainsi, sur le segment hôtelier, à 2,72 nuits par touriste étranger (1,82 nuit pour les touristes français), pour un total de près de 37 millions de nuitées.
Paris a en outre pour atout économique de séduire des visiteurs financièrement aisés, puisque c’est sur le segment des hôtels 3, 4 et 5 étoiles que se font les meilleures performances. [1] Sans parler des palaces, qui affichent complet.
Au-delà de l’hôtellerie, des propositions alternatives existent, à commencer par les locations meublées de courte durée, estimées à 18 600 unités par l’Apur (Atelier Parisien d’Urbanisme). Pour simple anecdote, le site Airbnb, qui revendique près de 11 000 offres locales, aurait ainsi capté à lui seul plus de 223 000 voyageurs venant dans la capitale française. [2] Paris propose également 4 200 appartements en résidences de tourisme, auxquels s’ajoutent près de 6 900 autres en première couronne.
Très honoré de vous recevoir. Mais aussi très intéressé à le faire. Tout simplement parce que ces visiteurs à pouvoir d’achat élevé déversent sur l’économie parisienne une manne financière considérable, notamment dans les commerces. Si le shopping n’est que rarement la motivation première d’un séjour à Paris, c’est une activité largement pratiquée. Plus de la moitié des touristes étrangers déclarent ainsi avoir procédé à des achats lors de leur passage, avec des pointes observées chez les Japonais, les Chinois et les Américains, et des dépenses moyennes quotidiennes déclarées de 153 €.

Ce tourisme permet au commerce parisien de s’extraire, au moins en partie, des contingences de l’économie française et de la morosité ambiante. Sous condition toutefois de parvenir à capter les flux touristiques. Des flux qui sont d’autant plus stratégiques qu’ils coïncident peu ou prou avec ceux de la population française la plus aisée.



En la matière, la première clef de la réussite reste l’emplacement. Mieux vaut se situer sur les axes empruntés par cette clientèle ou à proximité de ses centres d’intérêt. À commencer par les palaces et hôtels haut de gamme, mais aussi les musées et monuments incontournables : Notre-Dame, le Louvre, la tour Eiffel, le Centre Pompidou, la place Vendôme ou le musée d’Orsay. Ou enfin dans les quartiers branchés et près des institutions parisiennes que sont devenus les grands magasins et les vaisseaux amiraux de quelques marques mythiques, qui attirent de plus en plus de touristes en quête de « l’art de vivre » parisien.

Pour profiter de l’argent disponible, mieux vaut fréquenter les mêmes lieux que lui : c’est la clé du succès des emplacements numéro un. Les confirmés comme les nouveaux. 
Les artères qui permettent de relier ces points ou qui se situent à proximité constituent le « saint des saints » du commerce parisien. L’antre. Le sérail.

Le sérail ? Il ne change guère d’une année sur l’autre. On y retrouve des noms bien connus. Champs-Élysées, Montaigne, Faubourg Saint‑Honoré, Haussmann, Sèvres ou Vendôme… Autant de noms qui forment une litanie de prières d’intercession. Celles qui, dans la liturgie du commerce, se terminent toutes par une formule identique : le déroulement du ticket de carte bleue, si doux aux chiffres d’affaires.

Le succès des emplacements numéro un les plus établis et les plus reconnus s’est confirmé. Ils attirent les enseignes du monde entier qui se livrent à une course effrénée. Certaines pour se faire un nom, d’autres pour renforcer le leur en quadrillant Paris. Au point que cette course s’apparente parfois à un jeu de chaises musicales entre marques tant le nombre de boutiques est limité.
La place Vendôme et la rue de la Paix en ont fourni un parfait exemple tout au long de l’année 2014. Van Cleef&Arpels a ainsi engagé des travaux d’agrandissement de son adresse historique en annexant la boutique Mauboussin. La place se jette de plus en plus résolument dans les bras de la richissime clientèle internationale, notamment asiatique, moyen-orientale ou russe. Une clientèle qui raffole du prestige d’un nom tel que celui de Van Cleef & Arpels, qui s’offre donc une impressionnante ambassade pour la recevoir. Mais cette clientèle a tendance à négliger une enseigne plus discrète ou moins reconnue. Mauboussin, positionnée sur le « luxe accessible » et qui réalise 90% de son chiffre d’affaires français avec la clientèle domestique, en a tiré les conséquences en renonçant à sa boutique, pourtant ouverte depuis 1955 et lourdement rénovée en 2010. Pour faciliter la conclusion de l’accord, le groupe Richemont, propriétaire de Van Cleef & Arpels, a été jusqu’à sacrifier le magasin d’une autre de ses marques, IWC, inauguré seulement deux ans auparavant au numéro 15 de la rue de la Paix. C’est ici que Mauboussin prend ses quartiers. Il migre ainsi à deux pas de la place Vendôme, sur une rue où les loyers sont un peu plus faibles et le passage piéton plus important. Alain Némarq, président de Mauboussin, le reconnaissait très clairement en octobre dernier : « La hausse des loyers a été gigantesque. Nous avons reçu une offre très, très intéressante et nous profiterons d’un trafic nettement plus important en étant rue de la Paix ».[3] Du gagnant-gagnant donc. Car, si la place Vendôme était devenue un peu chère pour le spécialiste de la gemme colorée, il n’était pour autant pas question pour lui de trop s’en éloigner.
La rue de la Paix était une destination toute trouvée. Elle offre l’immense avantage de fonctionner en symbiose avec la place, les deux adresses formant un ensemble cohérent et complémentaire. Le joaillier Fred l’a bien compris, qui a amélioré sa visibilité en s’installant au numéro 16 de la rue de la Paix, confortant ainsi sa boutique un peu plus confidentielle de la place Vendôme.
Sur le trottoir d’en face, juste à côté du nouveau Mauboussin, le groupe Richemont continue d’arbitrer entre ses marques : Piaget est ainsi en train de prendre le relais de Montblanc. Les groupes multimarques ne sont pas les seuls à s’adonner au jeu des chaises musicales. Poiray par exemple bouge de quelques mètres, prend la place de Baccarat et laissera la sienne, à horizon 2016, à un nouveau venu.
Et les grandes manœuvres sont loin d’être terminées : côté place, le groupe LVMH s’est porté acquéreur de l’immeuble au numéro 2/4 et achève une lourde restructuration qui se conclura par des évolutions des surfaces commerciales en rez‑de‑chaussée et premier étage (voir notre interview de Marc‑Antoine Jamet, secrétaire général et directeur immobilier du Groupe LVMH). Puis ce sera l’hôtellerie de luxe qui confortera l’attractivité de ce quartier. Dans quelques mois, le Ritz rouvrira en effet ses portes, mettant à disposition des marques de nouvelles boutiques. À deux pas, les travaux viennent de commencer sur l’ancien Lotti qui ne formera bientôt plus qu’un avec l’hôtel Costes : à la clef, un nouveau palace qui ne tardera pas à faire de la rue de Castiglione l’exact pendant de la rue de la Paix.

Autres grands classiques des emplacements numéro un parisiens à être confirmés au sortir de l’année 2014 : les Champs‑Élysées et, rive gauche, le quartier Sèvres/Saint-Germain. Dans ce dernier cas, c’est Moncler qui franchit la Seine, sept ans après l’ouverture de sa première boutique rue du Faubourg Saint‑Honoré, et s’installe au 171 boulevard Saint‑Germain dans un espace mis en scène par Gilles & Boissier. Du côté de l’avenue des Champs-Élysées et de ses alentours, Elie Saab renforce sa présence parisienne en prenant la suite d'Hédiard au 31 avenue George V, en prise directe avec le Four Seasons George V et le Prince de Galles. Directement sur les Champs‑Élysées, Longchamp a signé pour 500 m² au numéro 77, afin d’ouvrir en décembre 2014 son nouveau flagship, le plus grand magasin de la marque en Europe.

2014 a confirmé le succès des adresses les plus connues et reconnues. À commencer par les Champs-Élysées, devenus incontournables pour les marques de luxe.Un mouvement encore inachevé puisque Knight Frank conseille, par exemple, une de ces enseignes dans la création imminente de son ambassade sur les Champs. 
Le maroquinier sera prochainement rejoint par Burberry, qui reprend une partie des surfaces de HSBC afin d’y installer une vitrine, juste à côté du magasin Louis Vuitton. Mais l’évènement majeur restera sans nul doute ici l’annonce de l’arrivée des Galeries Lafayette, en lieu et place du Virgin Megastore. Un format différent de celui de l’implantation historique du célèbre grand magasin du boulevard Haussmann est annoncé. Sans plus de précision : secret d’État ! Mais gageons que le luxe et les marques haut de gamme trouveront l’occasion de donner toute leur mesure dans un espace à la mise en scène spectaculaire.
Les Champs-Élysées, considérés par beaucoup comme une des plus célèbres avenues au monde, souffraient d’un décalage entre leur image de marque et leur standing commercial. C’en est visiblement fini. Le redressement, synonyme de montée en gamme, s’est accéléré en 2014. Un groupe de luxe généraliste a désormais du mal à se passer d’une adresse sur les Champs-Élysées. L’année 2015 le confirmera d’ailleurs, avec l’annonce imminente d’un évènement majeur en la matière.

Avec une orientation plus mass market, le boulevard Haussmann fait lui aussi preuve d’un beau dynamisme. Yves Rocher s’étend. Marks & Spencer s’installe à proximité, rue de la Chaussée d’Antin. Pret A Manger profite de la reconfiguration des Galeries Lafayette Maison et Gourmet pour confirmer son ancrage parisien. Et d’autres installations de flagships majeurs sont annoncées, notamment sur l’emplacement Benetton et sur celui de la banque Monte Paschi.
De son côté, si la rue du Faubourg Saint-Honoré a connu une année 2014 plutôt calme, c’est essentiellement en raison de la rareté des opportunités d’implantation, au moins dans sa section la plus recherchée, entre la rue Royale et la rue d’Anjou. Un frémissement se fait par contre sentir plus haut dans la rue, à proximité de l’église Saint-Philippe du Roule, sur un secteur jusque‑là un peu délaissé. Jean‑Louis Scherrer y a par exemple ouvert une petite boutique au mois de juin. Une année jour pour jour, ou presque, après la mort de son créateur et cinq ans après que le rideau ait été baissé sur l’ultime vitrine parisienne de la griffe, cette nouvelle ouverture est comme un acte de renaissance. Une renaissance et un retour aux sources puisque c’est à côté, dans une ancienne cave à vins au numéro 182, que l’aventure Jean-Louis Scherrer avait commencé en 1963.
Pas de chamboule-tout donc. L’année 2014 s’est inscrite dans la continuité des précédentes, se contentant de confirmer et d’amplifier des évolutions déjà décelables auparavant. Notamment celle de la montée en gamme de certains quartiers, qui ont définitivement gagné leur place au sérail. La rue Saint-Honoré, le Marais ou le secteur Opéra‑Madeleine avec le boulevard des Capucines en sont les exemples les plus frappants (voir encadré « Les nouveaux Mozart du luxe »).
Mais ces élus sont rares et pour les autres emplacements, la musique n’est pas la même. Là, pas de visiteurs argentés. L’horizon est domestique et l’environnement directement tributaire des difficultés de l’économie française et de l’état d’esprit du consommateur national.

[1] Paris Office du Tourisme et des Congrès, « Le tourisme à Paris : Chiffres clés 2013 » 
[2] « Le tourisme à Paris : Chiffres clés 2013 », 
page 23

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