Tuesday 17 February 2015

01 Consommation de bureaux : Le lièvre et la tortue

Le marché locatif était au rendez-vous. Nous l’attendions légèrement au-dessus de la barre des deux millions de m² placés sur la région parisienne, histoire d’oublier les déceptions de l’année 2013 [1]. Il termine finalement à
2,1 millions de m² pour 2014.

L’Île-de-France affiche une progression de 13% de la consommation de bureaux sur 2014. Mais cette moyenne cache de profondes disparités et ce sont les grands noms qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu.

Contrat rempli donc. Le marché s’est pourtant fait tour à tour lièvre et tortue tout au long de l’année, jouant avec les nerfs des observateurs et de ses acteurs. Après un démarrage en fanfare, avec une progression de l’activité transactionnelle de 28% sur le premier semestre, l’été 2014 a marqué un brusque ralentissement. Il a fallu attendre les résultats du quatrième trimestre, de nouveau en nette progression, pour que les inquiétudes soient levées. Au final, la demande placée a progressé de 13% en volume.

À 2,1 millions de m², 2014 s’apparente à 2005 ou 2010, soit autant d’années qui avaient inauguré une période haussière de l’activité transactionnelle sur le marché francilien. Alors, 2014 marque-t-elle l’entrée dans un nouveau cycle ? Les perspectives pour 2015 sont favorables (voir, dans les Perspectives, notre article Consommation de bureaux : « Same players play again ») et pourraient le laisser croire. Il serait toutefois aventureux de s’enfermer dans une lecture trop ordonnée et logique des évolutions du marché. L’instabilité de l’activité transactionnelle en 2014 en témoigne. Si cycles il y a encore sur le marché locatif, ils semblent bien se raccourcir.

Evolution de la demande placée en Île-de-France (en m²) - Source : Knight Frank
Demande Placée

La progression de la demande placée en 2014, ainsi que sa volatilité, trouvent pour une grande part leur origine dans un phénomène : le retour sur le marché des grands utilisateurs, à la recherche de surfaces de plus de 5 000 m². Plus précisément, ce sont même les plus grands d’entre eux (ceux qui signent des baux supérieurs à 20 000 m²) qui ont fait la différence. De véritables lièvres en 2014 ! Sur ce segment, l’activité transactionnelle explose, avec une hausse de 54%. En 13 transactions, ce sont plus de 410 000 m² de bureaux qui ont été loués, soit 20% de la demande placée totale. 20% en à peine plus de 10 transactions : c’est dire l’inexorabilité des fluctuations de l’activité transactionnelle.

La reprise du marché locatif observée en 2014 est-elle à ce titre une reprise en trompe-l’œil, artificiellement entretenue par quelques « méga-deals » dont beaucoup se font d’ailleurs hors marché ? La réponse est non. D’autres segments de surfaces sont en effet en progression. C’est le cas des transactions de 5 000 à 20 000 m², pour lesquelles la hausse est plus modeste mais néanmoins de 9% (435 000 m² en 48 transactions). Et c’est aussi celui des petites surfaces. Les utilisateurs de moins de 1 000 m² ont été particulièrement dynamiques en 2014, avec une progression de 26% de leur consommation de bureaux. On imagine la multitude d’entreprises concernées ici !

À vrai dire, s’il est un sujet de vigilance que révèle l’analyse de l’activité transactionnelle par tranches de surfaces, c’est le ralentissement observé sur le segment des deals de taille moyenne (1 000 à 5 000 m²). Ils se sont faits tortues. Là, un recul est en effet à observer, même s’il reste modeste : -7%.

Évolution de l’activité transactionnelle par tranche de surfaces en 2014 - Source : Knight Frank

Répartition de l’activité transactionnelle par tranche de surfaces en 2014Source : Knight Frank


Faut-il y voir la manifestation des difficultés de beaucoup d’entreprises de taille moyenne et intermédiaire dans la conjoncture économique actuelle ? Sans doute en partie. D’ailleurs, de telles difficultés pourraient également expliquer partiellement la performance observée sur le segment des petites transactions : contraintes de réduire coûts et voilure, certaines entreprises intermédiaires se repositionneraient sur des surfaces de bureaux de moins de 1 000 m². Mais une telle explication ne saurait suffire. Le marché locatif francilien a sa part de responsabilité dans les difficultés observées sur le segment des surfaces moyennes. Il y a une explication qui lui est endogène et qui joue probablement un rôle essentiel : l’inadaptation de l’offre à la demande. Si une entreprise ne peut pas trouver, pour un prix qui lui convient, des surfaces de bureaux plus qualitatives, plus efficaces et mieux placées que celles qu’elle occupe actuellement, quel intérêt aurait-elle à assumer le coût d’un déménagement ? À peu près aucun… Et le problème est sans doute particulièrement prégnant pour les entreprises intermédiaires, qui n’ont pas un accès naturel aux précommercialisations en tant que moyen de contournement des insuffisances de l’offre immédiate.

La métaphore du lièvre et de la tortue correspond également très bien à l’analyse de la géographie de l’activité transactionnelle. La Défense apparaît comme le champion incontestable de l’année 2014. Le quartier d’affaires est allé vite et il a tenu le rythme tout au long de l’année. La demande placée y retrouve un niveau proche de ses sommets et progresse de 133% par rapport à l’année précédente. Il faut dire que 2013 avait été particulièrement déprimante pour La Défense (voir notre article «  La Défense : Triomphe de la raison  »).

Au-delà de La Défense, 2014 s’avère être un excellent cru pour les secteurs les plus établis et les plus reconnus : l’activité transactionnelle sur le QCA a ainsi augmenté de 17%, tandis qu’elle a gagné 38% sur Neuilly/Levallois.
De façon plus anecdotique, quelques micromarchés réalisent également de belles ou très belles performances au terme de l’année 2014, à l’image de Paris 5/6/7ème arrondissements ou de Paris 18/19/20ème arrondissements.

Logiquement, le succès des marchés les plus nodaux s’est fait au détriment de leurs périphéries. Celles-ci se nourrissent souvent des entreprises qui n’ont pu trouver de solution aux emplacements centraux. L’année 2014 aura été dure pour ces marchés de déport ou de substitution, qui affichent parfois des reculs significatifs.

Demande placée 2014


Concernant ces derniers, le catastrophisme n’est toutefois pas de mise : ces contre‑performances ne signifient pas, ou pas forcément, une désaffection durable des entreprises. Beaucoup de ces secteurs avaient d’ailleurs tiré profit de l’environnement de 2013. Ce qu’ils paient au terme de 2014 est sans doute davantage en lien avec l’attractivité de leur offre et l’opportunité de leur positionnement prix.
Il en va ainsi. Il y a des lièvres et des tortues sur le marché locatif. Et il arrive que certains lièvres se changent en tortues. Ou inversement. C’est une bien curieuse évolution des espèces mais elle est indiscutable…

Localisation de l’activité transactionnelle et évolution comparée des différents marchésSource : Knight Frank






[1] Knight Frank, Paris Vision 2014,  : « (…) la barre symbolique des 2 000 000 de m² serait franchie en 2014. De combien ? L’expérience conduit à la prudence mais il paraît peu probable, pour l’heure, de monter très au‑dessus. », page 21

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